Les villes, les métropoles et les régions

Les résultats des dernières élections générales au Québec projetés sur la carte géographique de la province laissent pantois : une île rouge (avec un peu d'orange) dans une mer bleue! Ces résultats expriment fort bien, hélas, le fossé qui commence de plus en plus à se creuser dans le monde, particulièrement en Occident, entre les villes, les métropoles et leurs régions.

Les villes des côtes aux États-Unis versus le centre du pays, Toronto et le reste de l'Ontario (qui vient d'élire Doug Ford), Londres et la campagne anglaise (le Brexit), Istanbul vs l'arrière-pays en Turquie (Erdogan), en Allemagne, en France, etc., Une multitude de pays dans le monde voit grandir cet écart entre leurs métropoles et leurs régions, et le Québec n'échappe pas à la tendance.

Malgré tout, l'avenir sera urbain. Il sera urbain et favorisera les mégapoles. Il sera multiculturel, ouvert sur le monde, agile, complexe, en constant changement, mû par une technologie intelligente, omnipotente et en perpétuelle transformation (Blade Runner?). Le mouvement vers cette destination est en marche et rien ne l'arrêtera. Et Montréal suit, peut-être à un rythme plus lent que San Francisco ou Pao Alto, mais va inexorablement dans la même direction.

Par contre, si les villes et leurs citoyens s'adaptent fort bien à ces transformations, étant à l'origine de celles-ci, incarnant ces tendances, il en va tout autrement des habitants des régions.

Ces derniers sont moins exposés à tous ces changements et ils y voient une menace, surtout que ces transformations s'effectuent à un rythme de plus en plus accéléré. Là où les urbains qui y sont plus exposés y voient des opportunités de développement personnel et d'accomplissement, les habitants des régions y voient une impasse pour leur mode de vie et leur identité. La dispersion des grandes régions du Québec sur notre carte socioculturelle est fort éloquente à ce sujet...

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Des postures mentales en vives oppositions!

Le « fossé » métropoles/régions s'exprime notamment sur un certain nombre de « postures mentales » qui illustrent bien la difficile transition des régions vers le nouveau monde qui nous tombe dessus...

  • Un sentiment de perte d'emprise sur sa vie (ce que l'on nomme le Contrôle sur sa destinée);
  • La capacité (ou non) de s'adapter à un monde complexe et incertain;
  • Un besoin de repères territoriaux réconfortant (identité régionale);
  • Une certaine intolérance ethnique (la menace face à son identité et sa région);
  • Une fermeture face aux changements sociaux et technologiques;
  • Un certain conservatisme, une nostalgie face à des repères mieux définis.

Or, sur chacun de ces vecteurs, on observe un continuum de différences marquées entre l'ensemble des régions du Québec et l'Île de Montréal. Les citoyens de cette dernière se sentent davantage en contrôle de leur vie, de leur destinée, plus aptes à s'adapter à la vie actuelle, plus ouverts à la diversité ethnique, au changement et plus « modernes » socioculturellement (moins conservateurs, mesuré ici par l'ouverture à l'égalité des sexes).

Le tableau suivant m'apparait très révélateur à ce sujet. On y présente la pénétration, proportionnellement à l'ensemble de la population québécoise (équivalent à un indice de 100), d'un certain nombre de ces indicateurs, découpés régionalement de l'Île de Montréal aux régions du Québec, en passant par le 450 et la région métropolitaine de Québec (RMR). On peut y observer que l'Île de Montréal est de loin la « région » la plus en phase avec l'époque actuelle, que le 450 a une position « moyenne » face à l'ensemble du Québec et que la région de Québec est de loin la plus « conservatrice » de la province!

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L'immigration au centre de la division métropoles/régions

Dans le monde, les grandes villes explosent; et l'immigration est LE facteur démographique en cause. On assiste à des migrations intra-nationales, des régions vers les métropoles, mais aussi et de plus en plus international, dû aux guerres, à la misère, aux changements climatiques et à toute cette humanité qui rêve de vies meilleures.

Néanmoins le migrant semble s'imposer comme le signe le plus visible de la transformation rapide des sociétés. La globalisation et les changements technologiques agissent de façon plus sournoise. Le migrant, il arrive en chair et en os, avec ses valeurs, ses coutumes, son patrimoine culturel et son « art de vivre ». Il incarne souvent un écart culturel majeur face aux valeurs du terroir. Ce qui inquiète. Ce qui donne l'impression que le patrimoine culturel et l'identité locale sont menacés; particulièrement si on le côtoie peu (c'est en régions où l'on retrouve le moins d'immigrants et que l'on retrouve les taux les plus élevés d'intolérance ethnique). On y voit le symbole avant l'humain.

Ainsi, cette coupure villes/régions, ouverture/inquiétude face au changement, modernité socioculturelle /conservatisme, s'est invité au centre de la politique nationale de la majorité des pays occidentaux et/ou démocratiques et explique en grande partie beaucoup de résultats électoraux au cours des dernières années. La CAQ s'est présentée comme le changement (politique certes), mais elle a été plutôt vue comme un rempart contre le changement (certainement social).

On ne peut certes pas tout expliquer par cette tendance. Il y avait certainement une « fatigue » à l'égard des libéraux, ainsi qu'un travail mieux « huilé » de la CAQ sur le terrain. Mais on ne peut oublier que la campagne s'est faite en partie sur le dos de l'immigration.

En espérant, comme bien des observateurs, que maintenant au pouvoir, la CAQ risque de gouverner davantage au centre que la campagne l'a annoncé. On verra.