Est-ce que ça vous scandalise de voir des images de relations sexuelles dans les médias? 50 % des Canadiens disent que oui

Au cours des années, les marques ont de plus en plus intégré des attributs et des représentations à caractère sexuel dans leurs communications et leurs positionnements. On vend une dimension sexy, érotique, désirable des marques et des produits proposés (dans les vêtements et les accessoires particulièrement). On rend ces derniers sexys dans la perception des consommateurs, ce qui en accentue l'attrait. La télévision, le cinéma et les vidéos de musique notamment ont aussi suivi cette même tendance dans leurs narratifs. L'usage de la sexualité dans les médias s'est certainement intensifié avec le temps.

Plusieurs analystes en sont même venus à parler d'hypersexualisation, accusant les médias d'être responsables du développement précoce, voire prématuré de la sexualité chez les jeunes, une perspective éthique certainement post libération sexuelle, tout comme un point de vue que partage une proportion importante de la population aujourd'hui.

Une société divisée à l'égard de l'hypersexualisation des contenus dans les médias

À ce sujet, nous utilisons depuis les années 90 une question se voulant un peu incisive et qui visait, selon nos hypothèses de l'époque, à suivre le déclin de la morale sexuelle traditionnelle. Nous demandons aux gens s'ils sont en accord (ou non) avec l'énoncé suivant : « Ça me scandalise de voir tant d'articles et d'images de relations sexuelles au cinéma, dans les magazines et dans les livres ». Au départ en utilisant cette question, nous nous attendions à mesurer des majorités croissantes de gens en désaccord avec l'énoncé. (Nous sommes certes conscients que notre question des années 90 n'inclut pas tous les médias disponibles aujourd'hui, mais nous croyons sincèrement que nous pouvons interpréter les résultats d'une façon plus générale, en englobant tout le contexte actuel des médias).

Or, à notre grande surprise, le déclin que nous avions prévu ne s'est réalisée que récemment et malgré tout, une personne sur deux au pays (50 %) est toujours en accord avec une affirmation aussi cassante, ce qui nous apparaît considérable (être scandalisé est quand même très fort comme expression). Même au Québec, la province souvent la plus permissive au pays, on dénombre 46 % de gens en accord avec l'énoncé, pour 51 % dans le reste du pays, la différence n'étant pas si grande. L'Atlantique constitue la région la plus sensible à cet égard avec  58 % de gens en accord, les autres provinces et régions se situant dans la moyenne nationale.

Les jeunes plus permissifs, les aînés affichant une plus grande pudeur

Sur ce phénomène, le facteur le plus décisif est certainement l'âge; c'est sur cette variable que l'on enregistre les plus grands écarts. Si 50 % des gens au pays sont en accord avec l'énoncé présenté plus haut, on passe de 43 % chez les 18-24 ans à 62 % chez les 65 ans et plus (de 43 % à 53 % au Québec). On peut certes ne pas s'étonner d'un tel appui chez les 65 ans et plus, mais un horizon de deux personnes sur cinq (43 %) chez les jeunes (18-24 ans) est quand même très élevé (encore une fois, pour une question aussi cassante)!

Le déclin de la morale traditionnelle et son seuil

De plus, le déclin anticipé que nous voulions mesurer par cette question ne semble s'être produit que de 2006 à 2012. En effet, l'énoncé  recevait environ entre 55 % et 59 % d'appui de 1996 à 2006 (des majorités de la population quand même), alors que de cette dernière année jusqu'en 2012, la proportion des gens en accord avec l'énoncé est justement passée de 59 % à 48 %. Une dégringolade de 11 points en 6 ans! Depuis, on oscille autour de 50 % de la population.

La sexualité dans les médias s'est donc progressivement un peu banalisée. On s'en formalise un peu moins. Son abondance nous a rendus moins sensibles.

Par contre depuis 2012, on semble avoir atteint un seuil en bas duquel on ne veut pas descendre. La population demeure divisée à parts égales quant à l'acceptation (ou non) de scènes à caractère sexuel dans les médias et la publicité. Permissivité et pudeur se côtoient au pays dans des proportions équivalentes. Et ce qui est le plus étonnant, c'est que même chez les jeunes, cette pudeur (se dire scandalisé par la trop grande présence de sexualité dans les médias) n'est quand même pas négligeable dans un horizon de 40 %.

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Conservatisme religieux et éthique post-moderne

Nos hypothèses de départ nous portaient à croire qu'avec le déclin des valeurs les plus traditionnelles, conservatrices et religieuses dans la société, on assisterait à un vent de permissivité sexuelle dans nos mœurs, lequel pourrait notamment s'exprimer dans les médias et les communications des marques. Ce phénomène s'est certainement produit. La société, canadienne-anglaise comme québécoise, est assurément moins « prude » qu'elle ne l'a déjà été, mais le seuil actuel en deçà duquel on se refuse à descendre indique qu'il y a d'autres facteurs en jeu.

En effet, l'analyse des valeurs et cordes sensibles associées aux attitudes quant à l'usage de la sexualité dans les médias nous montre qu'il n'y a pas que le conservatisme religieux qui inspire cette pudeur. On observe une sorte d'éthique post-moderne associée à un sens des responsabilités sociales qui s'oppose à ce que l'on peut considérer comme de l'hypersexualisation. Une sensibilité sociale, éthique et même écologique de respect de la vie et de l'autre qui s'oppose à ce que de façon abusive, on réduise justement cet autre à un objet sexuel.

Cette éthique post-moderne s'est donc ajoutée progressivement à la morale religieuse traditionnelle pour motiver ce minimum de pudeur à l'égard de l'expression de la sexualité dans l'espace public. Ce qui explique le plancher de 50 % (46 % au Québec) en dessous duquel on ne descend pas depuis plusieurs années dans les résultats de notre question sur l'attitude à l'égard de l'usage de la sexualité dans les médias.

Équilibre et jugement seront de mise pour les marques et les médias

La tentation est grande pour les marques et les créateurs de contenus de faire usage de la sexualité afin d'attirer consommateurs et audiences. La recette est simple et elle fonctionne. Mais elle a ses limites. Des effets contreproductifs pourront certainement se produire dans les années qui viennent « si la tendance se maintient ». Des marques pourront perdre de leur capital de sympathie si elles abusent. Des médias pourront voir leurs auditoires se fragiliser.

Devant la force de cette nouvelle éthique post-moderne incitant à cette pudeur, le jugement sera de mise pour les créateurs de contenus afin de ne pas abuser de l'objectivation des corps. Il y aura toujours de la place pour la sensualité, mais on devra, comme on dit si bien en français,  « se garder une petite gêne »!