La vie au temps de la COVID-19

Ou l’émergence d’une nouvelle connexion à autrui

(en collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde)
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Un bilan humain de la pandémie

À ses heures les plus sombres, la crise de la COVID-19 aura été, pour la plupart d’entre nous, une importante source d’inquiétude. Anxiété et détresse pour certains, lassitude et frustration pour d’autres, rares sont ceux qui ont bénéficié d’un confinement ressourçant (même s’il y en a eu).

En janvier 2021, un de nos sondages pour La Presse nous permettait d’observer que près de trois personnes sur quatre au Québec (72 %) se disaient inquiets de la propagation de la COVID-19. Une personne sur deux (50 %) craignait de l’attraper!

Mais par-delà ces préoccupations spécifiquement associées à la maladie, une des difficultés les plus importantes que les gens ont vécues est certainement leur isolement vis-à-vis de leurs proches.

Dans ce sondage que nous avons réalisé pour l’Institut du Nouveau Monde (juin 2021), on observe que trois Québécois sur cinq (62 %) affirment ressentir le besoin de développer de nouvelles relations afin de palier l’isolement auquel ils ont été contraints depuis plus d’un an. Qui plus est, 44 % disent avoir posé des gestes concrets au cours de la même période dans le but de développer ces nouvelles relations.

Les gens ont certainement souffert de cet isolement imposé par les mesures sanitaires. Ils veulent développer de nouveaux liens, de nouvelles connexions. Ils ont eu besoin des autres durant cette crise. De s’exprimer. D’écouter. Ils ont cherché le réconfort.

La pandémie a fait ressortir le besoin de l’autre, en son absence.

Un Québécois sur deux (49 %) nous dit avoir eu besoin d’obtenir le soutien de son entourage au cours de la dernière année. Six sur dix (60 %) ont senti que des gens de leur entourage avaient besoin de soutien durant la même période. Voilà des données qui en disent long sur le malaise social que nous venons de traverser.

De plus, il est clair que la façon de combler ce besoin de connexion fut fort différente d’une personne à l’autre, particulièrement lorsque l’on tient compte de l’acuité avec laquelle il s’exprimait, et auprès de qui il a été comblé.

Certains se sont « rapprochés » de leur famille, tant émotionnellement que virtuellement. Pour d’autres ce fut avec les amis, les collègues de travail et même la communauté du quartier, les voisins. À l’opposé, d’autre se sont éloignés émotionnellement de ces mêmes relations, selon leur façon de réagir au confinement.

Le graphique suivant exprime cette dynamique de manière éloquente.

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De façon générale, on observe que les Québécois affirment que leur sentiment d’appartenance à l’égard de leur famille a globalement augmenté : 28 % l’estiment en augmentation, alors que 10 % l’estiment en diminution, pour un gain net de 18 points !

Ce gain net est nul pour les amis, alors qu’il est de 4 points pour la communauté du quartier.

Soulignons aussi que les Québécois affirmant que leur sentiment d’appartenance à l’égard du travail a diminué sont plus nombreux que ceux qui affirment que ce sentiment a augmenté (un bilan net de -7 points). L’impossibilité de travailler en présence de ses collègues a certainement affecté négativement leur attachement à leur organisation.

Donc globalement, ces données dans leur ensemble permettent de conclure que le bilan de nos connexions sociales s’est amélioré. Une cohésion plus émotionnellement intense semble s’être intégrée dans notre tissu social malgré la pandémie, ou plutôt, grâce à cette dernière !

À la pointe de ces nouvelles connexions : les jeunes et les familles.

Non seulement est-il fort intéressant d’observer cet affermissement de la cohésion sociale, mais il l’est encore davantage de constater qui en assume le leadership.

En effet, quelques caractéristiques démographiques nous permettent d’observer des différences notables vis-à-vis l’ensemble de la population, notamment chez ceux qui ont des enfants, chez les moins de 35 ans, et dans une certaine mesure, chez les gens qui ont un chien !

Par ailleurs, cette étude nous a aussi permis d’observer que près de trois personnes sur dix au Québec (28 %) disent participer activement au développement de leur communauté. Encore une fois, les jeunes de moins de 35 ans, les gens qui ont des enfants et ceux qui ont un chien s’y distinguent comme étant plus actifs! De plus, chez ces citoyens impliqués dans le développement de leur communauté, l’affermissement de la cohésion sociale y est à son niveau le plus élevé ! Déjà plus engagés auprès des autres, le confinement fut certainement pour eux un catalyseur de nouvelles connexions.

Il est aussi fort intéressant d’observer les gains nets du sentiment d’appartenance selon les segments sociodémographiques à notre disposition dans cette étude.

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Encore une fois, les jeunes avec familles s’y distinguent, tout comme ceux qui sont actifs dans le développement de leur communauté.

Or, ce chassé-croisé de caractéristiques qui nous permet d’observer ces différences importantes quant à l’affermissement de la socialisation nous indique également que ces différents comportements et attitudes sont soutenus par des tendances latentes qui les transcendent et qui stimulent ce besoin d’aller vers l’autre.

La diversité sociale associée aux transformations de la cohésion.

Ainsi, une investigation plus poussée de ces tendances latentes et des « facteurs » sous-jacents nous ont permis d’identifier une très intéressante diversité de citoyens ayant des visions totalement différentes de leurs rapports et attentes envers les autres. Une diversité qui illustre à merveille cette transformation de la cohésion sociale que la pandémie a engendrée.

Cinq types d’individus sont ressortis de cet exercice :

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1. Le Grégaire (11 %) :

 Il exprime un profond besoin d’autrui pour s’épanouir. Il a besoin d’échanger, de partager, d’entretenir et de développer des relations significatives avec les autres.
La pandémie a été particulièrement difficile pour lui. Il a activement cherché à développer de nouvelles relations et la qualité de ses rapports aux autres se sont énormément améliorés durant cette période !

On y retrouve des surreprésentations de gens âgés entre 18 et 34 ans, de couples avec enfants (des familles avec un chien) et de ceux dont le niveau d’éducation est supérieur à la moyenne.

2. Le Voisin enthousiaste (10 %) :     

Ses rapports avec ses voisins et avec sa communauté de quartier se sont énormément bonifiés. C’est également le cas, dans une moindre mesure, pour sa famille et ses amis. Il ne participe pas au développement de sa communauté pour autant. La pandémie l’a amené à socialiser davantage avec ses voisins et les gens de son quartier, à y trouver une nouvelle source d’identité, mais sans nécessairement l’amener à s’y impliquer.

Notons que l’on retrouve une surreprésentation de gens âgés de 55 ans et plus dans ce segment.

3. Le Sensible (40 %) :           

Son besoin d’entretenir et de développer des relations significatives avec autrui le rapproche sensiblement du Grégaire, mais de façon moins caractérisée. Pour lui aussi, la pandémie a été difficile. Il a aussi activement cherché à développer de nouvelles relations et la qualité de ses rapports aux membres de sa famille s’est significativement améliorée, contrairement aux amis, collègues et voisins pour lesquels son sentiment d’appartenance à diminué. La qualité de ses relations semble s’être améliorée avec un nombre plus ciblé de personnes.
On y retrouve des surreprésentations de gens âgés entre 18 et 34 ans et de couples avec enfants (et encore une fois, avec un chien).

4. L’Autosuffisant (35%) :      

Il ne s’est ennuyé de personne ! La pandémie ne lui a causé aucun vide sur le plan humain. Il se suffit très bien à lui-même ! Son sentiment d’appartenance à sa famille a sensiblement augmenté, mais de façon générale ses rapports avec les autres sont restés les mêmes tout au long de la crise de la COVID-19.
On y retrouve des surreprésentations de retraités et de gens âgés de 65 ans et plus.

5. Le Déconnecté (4 %) :

La pandémie l’a visiblement isolé de toute sa vie sociale. Ses sentiments d’appartenance à sa famille, à ses amis, à son quartier tout comme à son travail ont tous fortement diminué, et ce, tout en se situant à un niveau très bas comparativement à la population.

Il a tendance à être un homme, âgé entre 35 et 54 ans, à vivre seul et à gagner un revenu parmi les plus faibles de la société.

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Un bilan fort positif !

Le but de cet exercice était de faire la synthèse, de la façon la plus holistique possible, de toutes les différentes formes de besoins de connexions humaines que la pandémie de la COVID-19 aura provoquées (ou altérées).

Or, si on fait le cumul des types d’individus chez lesquels on observe un affermissement de la cohésion sociale, que ce soit avec la famille, les amis, les collègues, les voisins ou les proches auprès de qui on a trouvé du réconfort, le bilan nous paraît fort positif. En effet, la somme des types 1 à 3 totalise 61 % de la population québécoise adulte; soient trois personnes sur cinq, une nette majorité ! Seulement 39 % n’ont pas emboité le pas à cet accroissement d’empathie.

Un nouvel humanisme aura donc été un des legs de cette pandémie. Dans les contraintes des restrictions et du confinement occasionnés par les mesures sanitaires, un besoin d’autrui a fatalement émergé. L’isolement a exacerbé notre besoin de connexions, comme l’absence d’un « objet » convoité, qui le rend encore plus désirable. Et le bonheur qu’entraîne la levée de la majeure partie de ces restrictions ne peut que donner un élan supplémentaire à l’expression de ce besoin de l’autre.

Conserver les acquis !

On peut certainement se réjouir de voir ces indicateurs nous suggérer qu’un certain affermissement de la cohésion sociale se soit fait sentir dans le contexte de ce tsunami de COVID-19 que nous venons de traverser. Une cohésion qui devrait se maintenir à court/moyen terme, compte tenu du rattrapage socio-affectif qui devra s’opérer entre nous.

Mais qu’en est-il à plus longue échéance ?

Il est certainement souhaitable que les liens d’appartenance à la famille, aux amis, aux collègues et aux concitoyens du quartier atteignent des niveaux optimaux. La cohésion sociale ne s’en portera que mieux. Si la pandémie aura eu comme bénéfice singulier de contribuer à l’élever, on peut certainement y voir un heureux prix de consolation!

Mais ces niveaux d’appartenance peuvent-ils conserver leur envol ? Pouvons-nous maintenir le nouveau palier de cohésion que ce sursaut d’attachement vient de nous léguer. Mieux, pouvons-nous nous servir de ce legs de la pandémie comme tremplin vers une société plus empathique ?

Les gouvernements n’ont jamais été aussi généreux. Vont-ils pouvoir faire marche arrière quand viendra le temps de gérer leurs cotes de crédit vis-à-vis leurs créanciers institutionnels ? Les électeurs les laisseront-ils faire ?

Les agences de santé publiques ont géré la vie sociale de façon très opiniâtre afin de contrôler les ravages de la pandémie, imposant de strictes limites à la socialisation. Nos institutions publiques, les entreprises et même les marques peuvent-elles maintenant stimuler cette même socialisation ? Les villes peuvent certainement valoriser davantage les espaces publics, les lieux de rencontre, stimuler la participation citoyenne. Les entreprises peuvent en faire tout autant avec les lieux de travail. On organise des événements. On optimise le vivre-ensemble, etc.

Notre société va sortir transformée de cette crise socio-sanitaire. Il reste à voir quelle direction elle va prendre : plus humaniste ou plus darwiniste ?

Les jeunes, particulièrement ceux avec famille, sont fort intéressants à observer. Leur engagement communautaire, leur sensibilité à l’égard des autres, leur volonté de connexions font briller une lueur espoir. Reste à voir s’ils vont conserver cet engagement en vieillissant.

Enfin, plusieurs scénarios peuvent être proposés quant à la suite des événements, autant optimistes que pessimistes.

On ne peut qu’espérer que « ça continue de bien aller » !