Des Québécois « assez » satisfaits de leur démocratie

Ce qui est fort bien, la démocratie étant notamment l’art du compromis dans une société.
En collaboration avec l’Institut du Nouveau Monde  
Et un article dans Le Devoir

 

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On peut dénombrer plusieurs approches qui rendent compte de l’état de la démocratie dans différents pays du monde. On collige des critères, on crée des indices, on compare, ordonne et classifie les pays selon le « niveau » de démocratie dont ils sont l’expression.

Une des études à laquelle on se réfère le plus souvent est certainement celle de l’hebdomadaire britannique The Economist (The Economist Intelligence Unit). Mais il y en a d’autres, celle de l’IDEA, un organisme intergouvernemental comptant des experts d’une trentaine de pays, tout comme celle de Fondapol en France.

Or, il est frappant d’observer que les travaux qui résultent de ces diverses approches sont à peu près tous arrivés aux mêmes conclusions au cours des dernières années : la démocratie est en déclin dans le monde!

Des tendances au totalitarisme se font de plus en plus sentir dans plusieurs pays. Les régimes deviennent plus autoritaires et même sectaires.

Devant ce phénomène CROP et l’Institut du Nouveau Monde ont voulu sonder les Québécois quant à l’appréciation qu’ils font de l’état de la démocratie au Québec. Une approche fort différente de celles citées plus haut puisque ces dernières sont fondées sur des critères objectifs, alors que la nôtre s’appuie essentiellement sur ce que pensent les Québécois.

 

Quatre grandes dimensions pour évaluer l’état de la démocratie

Les différentes perceptions de la démocratie étudiées ici peuvent se regrouper autour de quatre grands thèmes, lesquels nous donnent une bonne appréciation de l’état de la démocratie au Québec selon ce qu’en pensent les citoyens (contrairement à l’approche de The Economist qui utilise une soixantaine de critères objectifs !) …

Nos quatre dimensions :

1. La satisfaction à l’égard du système politique (représentation de la diversité des idées politiques, modes de scrutin, etc.)

2. Le respect des droits et libertés (liberté d’expression, de la presse, de conscience, de religion, etc.)

3. L’indépendance des institutions face au pouvoir politique (police, tribunaux, médias, etc.)

4. La capacité des citoyens d’influencer les décisions et politiques des différents paliers de gouvernement (fédéral, provincial, municipal).

 

1. La satisfaction à l’égard du système politique

De façon générale les Québécois jugent que la démocratie se porte bien au Québec, deux personnes sur trois (68 %) étant de cet avis.

En revanche, il est étonnant de constater la grande disproportion entre ceux qui considèrent que la démocratie se porte « très » bien (17 %) par rapport à ceux qui considèrent qu’elle se porte « assez » bien (52 %).  

L'enthousiasme est certainement modéré.

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On sent donc une certaine réserve dans ces résultats. Le système politique ne peut répondre parfaitement aux attentes de tous les citoyens, même si globalement ils peuvent s’en accommoder.

Les plus en phase avec la démocratie québécoise sont les hommes et les gens plus âgés (55 ans et plus). De leur côté, les plus critiques sont âgés entre 35 et 54 ans, des générations qui sont dans les périodes les plus intenses de leur vie en termes de besoins financiers, de responsabilités familiales, de travail, etc. (dont les besoins face aux institutions sont très importants).

Ces résultats sont fortement liés à la perception que l’on a de la représentativité de l’offre politique au Québec, particulièrement vis-à-vis la diversité des aspirations qu’on retrouve dans la société.

Au Québec une majorité, 57 %, soit près de trois personnes sur cinq, juge que l’offre politique actuelle représente bien cette diversité. Notons qu’il n’y a que 10 % qui jugent cette offre « très bien » comparativement à 48 % qui la jugent « plutôt bien ».

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Le tout est aussi fortement associé à l’évaluation que l’on fait de la capacité du mode de scrutin à bien représenter les intérêts et besoins des gens au Québec.

Encore une fois, une majorité est de cet avis (55 %), avec cependant le même type d’écart entre ceux qui jugent que nous avons une « très bonne » représentation versus une « plutôt bonne » représentation.

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À travers tous ces thèmes les hommes et les 55 ans et plus sont plus enthousiastes, alors que les 35 à 54 ans sont encore les plus critiques.

Notons aussi que les femmes sont dans des proportions significativement plus élevées à ne pouvoir exprimer d’opinion sur ces sujets (ne sachant pas trop quelle position prendre).

Globalement, ces résultats sont somme toute « assez » positifs. Toutes les sociétés expriment des diversités de visions politiques et il est certainement difficile de répondre pleinement aux besoins de tous.

Il est quand même désolant de constater que près d’une personne sur trois est insatisfaite de l’offre politique et du mode de scrutin (31 %).

Or c’est justement ce dernier qui est à la source du mécontentement. Si on examine l’ensemble des interrelations que les réponses à ces questions entretiennent entre elles (les multiples corrélations), le mode de scrutin s’impose ici comme déterminant quant à l’insatisfaction face au système politique.

On peut aisément comprendre le phénomène : à titre d’exemple avec 41% des voix exprimées lors des dernières élections provinciales au Québec, la CAQ a obtenu 90 sièges sur 125 à l’Assemblée nationale, alors que près de 60 % des électeurs n’ont pas voté pour elle!

Certains diront que les systèmes proportionnels peuvent mener à un certain chaos (Israël, Italie). Mais il y a certainement un prix à payer pour s’assurer de la stabilité relative des régimes parlementaires d’inspiration britannique.

 

2. Le respect des droits et libertés

Une des conditions essentielles à toute démocratie est certainement le respect des droits et libertés. Que ce soit la liberté d’expression, d’association, de religion, celle de la presse, etc., cette liberté est l’un des fondements de tout pays démocratique qui se respecte.

À cet égard, les Québécois sont passablement satisfaits de la situation si on en juge par le tableau qui suit…

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Au moins deux personnes sur trois estiment qu’au Québec on respecte les différents droits et libertés que nous avons sondés. Un autre facteur qui nous indique que dans la Belle Province on est globalement satisfait de l’état de la démocratie.

Cependant, on observe encore une fois une certaine réticence à s’estimer « totalement » satisfait de la situation. En revanche, la différence entre les plus enthousiastes et ceux qui le sont un peu moins est moins importante que pour les sujets précédents.

Notons, pour ce qui est de la non-discrimination, de la religion et du droit à vivre dans un environnement sain, que les scores sont relativement plus bas, ces enjeux faisant régulièrement la une de façon fort critique dans les médias.

Encore une fois, les 55 ans et plus sont plus satisfaits de la situation que les 35-54 ans qui sont beaucoup plus critiques, à l’instar des sujets précédents.

 

3. L’indépendance des institutions face au pouvoir politique

Peut-être un des aspects les plus importants qui sert à définir une démocratie est certainement cette indépendance. À titre d’exemple, les chamailleries entre notre ministre de la Justice (Monsieur Simon Jolin-Barrette) et la juge en chef de la Cour du Québec (Madame la juge Lucie Rondeau) n’existeraient tout simplement pas en Chine ou en Russie! Tous obéiraient au doigt et à l’œil aux volontés du ministre.

Mais les Québécois doutent quand même un peu!

Entre un quart et un tiers des Québécois ne font « pas » ou « peu » confiance en cette indépendance selon l’institution dont il est question.

Encore une fois, les pluralités vont dans le camp de ceux qui nous disent avoir « assez » confiance à l’indépendance des institutions sondées face au pouvoir politique. Des minorités (environ une personne sur cinq, soit autour de 20 %) déclarent qu’elles ont « tout à fait » confiance en cette indépendance.

Les médias et les tribunaux arrivent en dernier dans cette confiance avec un tiers des gens qui leur font « peu » ou « pas du tout » confiance. Une situation inquiétante pour ces institutions qui sont au centre du fondement de la démocratie.

Et encore une fois, les gens âgés de 55 ans et plus ont davantage confiance en ces institutions que les 35-54 ans qui sont plus critiques.

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4. La capacité des citoyens d’influencer les décisions et politiques des différents paliers de gouvernement

Ce dernier pilier de la démocratie que nous avons mesuré est certainement celui pour lequel la population sondée a le plus de doute.

Des majorités ont beaucoup de difficulté à croire qu’elles peuvent vraiment influencer les décisions des gouvernements fédéral (56 %) et provincial (50 %). C’est seulement au niveau municipal qu’on atteint presque une majorité de gens qui croit pouvoir exercer une influence au moins « assez importante » sur les décisions de leur mairie (49 %).

Il est intéressant d’observer que plus le niveau de gouvernement est près des gens (du municipal vers le fédéral), plus les citoyens tendent à croire qu’ils peuvent influencer ses décisions.

Cependant, même s’il est relativement simple de contacter son conseiller municipal ou son député, on reste perplexe quant à la façon dont on sera « réellement entendu » et on se demande si on tiendra « réellement compte » de nos besoins ou opinions. 

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Une vue d’ensemble

Une logique incontestable s’exprime à travers l’ensemble de ces résultats. On observe indiscutablement qu’il y a des gens qui, dans l’ensemble, sont enthousiastes à l’égard de la démocratie au Québec alors que d’autres sont plus critiques et que ces différents individus se sont exprimés de façon cohérente sur chacun des sujets abordés dans l’étude.

Or, de façon à pouvoir identifier les différents types de Québécois quant à leur évaluation de l’état de la démocratie, nous avons procédé à un exercice de classification en grandes « familles » d’individus selon leurs attitudes vis-à-vis les thèmes étudiés (segmentation).

Nous avons obtenu les résultats suivants …

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Cinq grands segments ont été identifiés dans cette démarche, dont trois sont « très » ou « plutôt » enthousiastes à l’égard de la démocratie québécoise.

 

1. Le Satisfait (28 %)

Il exprime une attitude somme toute fort positive sur tous les sujets explorés dans cette étude. Selon lui, la démocratie se porte bien au Québec, peu importe l’aspect sur lequel on la considère. Notons que son enthousiasme n’est quand même pas dithyrambique.

Il s’estime « assez » en accord avec tous les sujets explorés et pense que les choses vont « plutôt » bien. Il exprime une critique lucide et positive de notre système politique et adopte une position modérée face à tous les sujets explorés.

Il affiche néanmoins un engagement significatif en s’assurant de voter à toutes les occasions qui se présentent et ce, à tous les niveaux de gouvernement.

On le retrouve davantage chez les 55 ans et plus et chez ceux qui votent pour la CAQ.

 

2. L’Engagé (19 %)

Tout comme Le Satisfait, il exprime une attitude positive sur tous les sujets explorés dans cette étude. Mais il le fait avec beaucoup plus d’enthousiasme! Il est de loin le plus satisfait à l’égard de notre démocratie.

Il s’accommode fort bien du mode de scrutin et de la représentation des différentes idées politiques au Québec.

Il croit aussi qu’il peut influencer le débat politique et les décisions des gouvernements : il n’a qu’à sortir dans la rue si nécessaire! Il participe à des manifestations, à des grèves, signe des pétitions, etc.

Par contre, et c’est ce qui enflamme ses convictions et son action, il est très fataliste quant à l’avenir de la planète et des possibles conflits sociaux auxquels peu de sociétés échappent actuellement (polarisation des visions politiques, inégalités sociales, désinformation, etc.). Il a une vision apocalyptique de l’avenir de la planète et de la société, d’où l’intensité de son engagement.

Il est nettement surreprésenté chez les jeunes (18-34 ans), chez les minorités ethniques, a des enfants en bas âge et a tendance à voter pour le PLQ ou le Parti Vert.

 

3. Le Réformateur (19 %)

Même si de façon générale, il ne nie pas que le Québec soit une société démocratique (droits et libertés, indépendance des institutions), son point d’achoppement avec le système politique en place est certainement le mode de scrutin. Il souhaite ardemment qu’on le « réforme ». Il ne croit pas que le système actuel permette une bonne représentation de la diversité des idées et visions politiques qu’on retrouve dans la société québécoise.

Il croit encore moins en la capacité des citoyens de se faire entendre ou même d’influencer les politiques des divers paliers de gouvernement. Selon lui le système ne le permet pas.

Il n’est pas cynique pour autant. Il croit que le système peut évoluer et il espère qu’il assistera à cette évolution.

Il est surreprésenté chez les 55 ans et plus, les plus scolarisés et chez ceux qui votent pour le PQ.

 

4. Le Perplexe (18 %)

Dans ce segment, les gens doutent sérieusement des vertus tangibles de la démocratie québécoise. Le Perplexe ne croit vraiment pas en l’indépendance des institutions face au pouvoir politique, que ce soit la police, la justice ou les médias.

Ici, une forte majorité croit que les gouvernements, les entreprises et les médias essaient de contrôler la population. Elle n’accorde que fort peu de crédibilité à leurs messages.

Le Perplexe est très peu enclin à croire que le système politique actuel permet de bien représenter la diversité des idéaux et des gens particulièrement à cause du mode de scrutin en vigueur au Québec.

Mais, tout en étant fort critique à ces égards, on compte dans ce segment la plus grande proportion d’individus qui ne savent pas trop quoi répondre à nos questions, comme si plusieurs d’entre eux n’avaient pas d’opinion sur les enjeux politiques de notre époque. Ce qui ajoute à leur « perplexité ».

On y retrouve une surreprésentation de gens âgés de 35 à 54 ans et de niveaux socio-économiques plus faibles que dans l’ensemble de la société québécoise. Ces 35-54 ans qui se sont distingués tout au long de cette analyse se retrouvent en surreprésentation dans ce segment (tout comme dans le prochain).

 

5. Le Complotiste (15 %)

Comme son nom l’indique, il pousse le cynisme jusqu’à croire à un grand complot qui vise à totalement contrôler la société. Il croit sincèrement que tout notre système politique est sous la mainmise d’une élite malveillante qui dirige la destinée des gens, que ce soit au Québec comme dans le reste du Canada et le reste du monde.

Il exprime la perception la plus négative qui soit quant à l’état de la démocratie au Québec.

Selon lui, les gouvernements, les entreprises et les médias font tout pour brimer la liberté des gens. Les droits et libertés ne sont absolument pas respectés et il est convaincu que les citoyens ne peuvent exercer aucune influence sur les politiciens.

Leur vision de la liberté est celle que l’on entendait proférée par les manifestants lors du convoi des camionneurs à Ottawa à l’hiver 2022 comme celle des gens qui s’opposaient aux mesures sanitaires durant la pandémie de COVID-19.

Notons que de façon générale ce type d’individus s’abreuve aux formes les plus extrêmes du populisme. Il croit infiniment plus aux contenus de cette mouvance qu’à ceux des médias traditionnels.

On retrouve ici une surreprésentation de gens âgés de 35 à 54 ans et, sans surprise, une pluralité d’entre eux vote pour le Parti Conservateur du Québec d’Éric Duhaime.

 

Stimuler la démocratie

On peut conclure que globalement la démocratie se porte relativement bien au Québec si on se fie à l’évaluation qu’en font les Québécois. D’ailleurs, l’indice de The Economist classe le Canada dans ce que ses auteurs nomment les « full democraties », les démocraties complètes.

Or, même si ces résultats apparaissent fort positifs, on note une certaine réserve dans l’enthousiasme exprimé tout au long de l’étude. Comme société, il serait donc souhaitable de s’assurer qu’au cours des années à venir cet enthousiasme ne s’étiole pas trop. Et même, peut-on espérer, qu’il grandisse.

Parmi les piliers de la démocratie que nous avons étudiés, le moins bien vu a été la « capacité d’influencer les décisions des gouvernements ». Les gens ont de la difficulté à croire en leur capacité d’exercer une quelconque influence sur leurs politiciens.

Pourtant, notons que lors de cette étude 14 % des Québécois nous ont affirmé avoir contacté une personne élue au cours des douze derniers mois (le double dans notre segment L’Engagé, soit 27 %). Ce qui n’est quand même pas si mal pour une population de près de sept millions d’adultes avec 125 députés! (Quoique les gens sont toujours un peu plus enthousiastes quand ils répondent à un sondage par rapport à ce qu’ils font réellement dans leur vie de tous les jours!).

Mais, si on pouvait initier davantage de contacts entre les électeurs et leurs élus et faire davantage connaitre le travail de ces derniers (ce ne sont pas tous des « plantes vertes » comme a déjà lancé une députée à des journalistes), la perception de la démocratie pourrait grandement s’améliorer.

Il y a aussi le mode de scrutin qui contribue pour certains à déprécier la qualité de notre démocratie, mais je vais laisser ce volet à nos politiciens!

 

Méthodologie

La collecte des données pour ce sondage CROP s’est déroulée entre le 14 et le 20 juin 2023 par le biais d’un panel Web. Au total, 1 000 personnes ont répondu à l’étude, reflétant la population Québécoise de 18 ans et plus. Le questionnaire comportait une vingtaine de questions. Les résultats ont été pondérés afin de refléter la distribution de la population québécoise selon le sexe, l’âge, la langue maternelle et la scolarité des répondants. Notons que, compte tenu du caractère non probabiliste de l’échantillon, le calcul de la marge d’erreur ne s’applique pas.