Êtes-vous d’accord pour que les entreprises accumulent de l’information sur vous afin de vous présenter des offres pertinentes et personnalisées?

La récente crise publique de Cambridge Analytica sur l'utilisation massive de données personnelles accumulées sur Facebook fut l'occasion d'une prise de conscience planétaire sur le pouvoir insoupçonné des bases de données. En fait, surtout sur la quantité d'informations que l'on accumule et que l'on stocke sur chacun de nous. Une réflexion publique suivit sur la pertinence d'accumuler toute cette information, ainsi que sur les balises éthiques avec lesquelles on devrait encadrer ces pratiques.

Par contre, malgré la brutalité du réveil pour certains ainsi que quelques velléités de freiner le mouvement, ces pratiques ne cesseront pas. Et malgré les cadres réglementaires éventuels, l'accumulation de données personnelles n'ira qu'en s'accélérant de façon exponentielle dans les années qui viennent.

À chaque achat qu'ils font, comme à chaque recherche sur internet, les gens laissent des traces. Bientôt, plusieurs des appareils qu'ils utiliseront communiqueront des informations sur leurs usages (l'internet des objets). Des flux numériques constants abreuvent les serveurs de données sur les transactions et les comportements web de chacun de nous. L'infrastructure est en place, parfaitement fonctionnelle, et rien ne l'arrêtera.

Par contre, pour le moment et dans les démocraties occidentales, l'accumulation de données est principalement centrée sur la consommation. On cible le consommateur pour mieux le comprendre et ultimement être plus pertinent dans la personnalisation des offres qu'on lui présentera (le citoyen va y passer éventuellement, ça ne fait pas de doute!). Ces pratiques tirent justement leur légitimité dans la personnalisation : on accumule des données sur vos préférences de façon à vous présenter des offres et des contenus parfaitement pertinents, adaptés à votre style de vie. La pertinence en est la clé, le « ciment » de l'engagement.

Or, nous étions curieux de voir ce qu'il en pense, ce consommateur, de se faire constamment « épier » électroniquement de la sorte!

Le sujet étant complexe et nécessitant certaines nuances, la question fut posée de la façon suivante avec un préambule :

Les technologies numériques permettent maintenant aux entreprises d'accumuler beaucoup de données sur les préférences et comportements de leurs clients (historique d'achats, sites fréquentés, produits et services consultés, etc.), pour leur présenter des offres plus personnalisées.

Vous, personnellement, jusqu'à quel point trouvez-vous pertinent qu'en accumulant de l'information sur vous..., des sites web ou applications électroniques vous proposent des produits qui correspondent à vos goûts en fonction de ce que vous avez déjà consulté? (Très, assez, peu ou pas du tout pertinent)

À notre surprise, cette question divise radicalement la population canadienne en presque deux parties égales. Un peu plus d'une personne sur deux au pays (53 %) considèrent pertinent que l'on accumule de l'information sur eux afin de leur faire des offres personnalisées, alors qu'un peu moins (47 %) n'en voient pas la pertinence et tendent plutôt à s'opposer à ces pratiques.

Mais là où la division sociale se fait sentir avec le plus d'acuité, c'est sur l'âge des gens. En effet, si dans l'ensemble 53 % trouvent pertinent que l'on accumule de l'information sur eux pour leur faire des offres personnalisées, cette proportion s'élève à 79 % chez les 18-24 ans! Elle est de 67 % chez les 25-34 ans, et elle descend ainsi linéairement jusqu'à 39 % chez les gens âgés de 65 ans et plus. Les jeunes sont plus friands de consommation et sont donc fort enthousiastes à partager leurs informations pour mieux en profiter.

De plus, la force de leur enthousiasme comparativement aux plus âgés  est le signe d'une rupture générationnelle majeure quant au partage d'informations personnelles avec des tiers. Les enjeux éthiques reliés à la transmission de cette information n'atteignent guère les jeunes générations, alors qu'elles sont au centre des préoccupations des plus âgés.

Notons enfin que l'est du pays est plus « frileux » à l'égard de ce partage d'information. On observe un « taux de pertinence » de 46 % dans les provinces maritimes, 48 % au Québec pour 55 % dans le reste du pays (la moyenne nationale étant de 53 %).

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Les promesses et les menaces de la personnalisation

L'analyse des valeurs et cordes sensibles des consommateurs favorables et défavorables à cette accumulation de données personnelles en dit beaucoup sur la division sociale que ces pratiques provoquent.

Chez les plus favorables, où l'on compte une majorité de jeunes (de moins de 44 ans), le cocktail de motivations est tous azimuts. On croit fortement aux promesses de la personnalisation. Même que cette dernière exerce une fonction symbolique d'anticipation remarquable. Ils croient et espèrent que la pertinence des contenus et des sollicitations qu'ils recevront leur permettra de bénéficier de ce qu'il y a de mieux dans le monde; et ce, tout en leur permettant aussi de faire sortir le meilleur d'eux-mêmes par la stimulation qu'ils en tireront. Amélioration de soi, stimulation de sa créativité, accès au meilleur de la consommation et de l'innovation, fierté de pouvoir s'afficher comme adoptants précoces (« early adopters »), etc.; tout y passe en termes de motivations et de besoins exprimés.

Les opportunités pour les entreprises et les marques sont immenses pour celles qui sauront bien positionner leur stratégie de contenus via la personnalisation, et cette dernière liste de cordes sensibles et de valeurs auxquels ils peuvent répondre ne présente qu'un aperçu de ce que ces aficionados de la personnalisation en espèrent.

Par contre, l'autre moitié de la population qui ne croit pas en la pertinence de cette accumulation de données personnelles y voit certainement la matérialisation du « Big Brother » de George Orwell (1984). On nous surveille. On nous épie. On tente de nous vendre des articles dont nous n'avons pas vraiment besoin, de nous sensibiliser à des messages qui peuvent être contraires à nos intérêts, etc.

Ils sont très critiques à l'égard des entreprises, les tenants responsables du climat d'incertitudes dans lequel ils ont à vivre et auquel ils peinent à s'adapter. Ils tiennent profondément à garder leur autonomie, leur emprise sur leur vie et croient que l'usage de leurs données personnelles pourra éventuellement permettre à des tiers de les contrôler. Ils expriment aussi une certaine simplicité volontaire, une attitude anti-consommation (« No Logo »). Leur opposition est avant tout idéologique et philosophique.

L'avenir de la personnalisation

Elle est là pour rester. Même qu'elle s'immiscera de plus en plus dans tous les domaines de nos vies (CROP y investit d'ailleurs massivement en ce moment, en transformant ses pratiques et modèle d'affaires). Mais ce qui lui donnera son élan, son adoption par les gens, c'est sa pertinence. Nous faisons tous constamment l'objet de communications de masse plus ou moins pertinentes dans nos quotidiens. La pertinence des contenus offerts par la personnalisation sera la clé de sa diffusion et de son acceptation.

Ce sera le défi des entreprises et des organisations de s'assurer de cette pertinence. Mais pour cela, une connaissance plus intime des gens sera nécessaire (d'où l'accumulation de données personnelles.)

Même chez les plus récalcitrants. Ils sont très sensibles à la protection de l'environnement notamment. Leur adresser des contenus pertinents à ce sujet les rendrait certainement plus ouverts à la personnalisation!